Les vœux de Monseigneur Brouwet pour 2019

Les vœux de Monseigneur Brouwet pour 2019

Une année capitale

Le 11 décembre dernier, alors que se multipliait la présence de « gilets jaunes » sur les ronds-points et aux péages des autoroutes, le conseil permanent de la Conférence des Evêques de France invitait les catholiques à susciter des groupes d’échanges et de propositions pour offrir à tous, chrétiens ou non, des lieux de paroles et de rencontres.

L’Eglise n’a évidemment pas à organiser le débat public. De telles initiatives sont prises par des municipalités.
Le président a d’ailleurs annoncé un débat national organisé par une commission indépendante. J’invite les catholiques à participer à ces échanges ; cela n’empêche pas de les préparer en créant ces groupes de paroles voulus par le conseil permanent, en utilisant le questionnaire proposé (*)

Car nous devons prendre cette crise au sérieux. Quand quelqu’un n’en peut plus dans son travail professionnel, dans sa vie de famille, dans ses engagements associatifs, syndicaux, politiques, on en recherche la cause. Quand on pense l’avoir trouvée, on propose une solution pour que tout aille mieux : un accompagnement psychologique, un changement de poste, d’équipe, la reprise d’un dialogue interrompu, un temps sabbatique, une réorganisation du service…
Mais la personne concernée n’en veut pas. Rien de ce qu’on propose ne la satisfait. Pourquoi ? Parce qu’une seule cause ne peut expliquer son insatisfaction ; en fait, elle n’est plus à sa place, elle n’est plus motivée, elle ne voit plus le sens de ce qu’elle fait. On cherche pour elle des solutions à court terme, mais la difficulté est plus profonde, plus radicale : ce qu’elle cherche, c’est la signification de tout ce qu’elle entreprend. Son malaise est plutôt un mal-être.

C’est, je crois, ce qui arrive à notre pays. Nous cherchons des solutions pour apaiser la crise : une augmentation du salaire minimum, une baisse du prix du carburant…ces propositions sont généreuses mais elles n’apaisent pas le mal-être de fond.

Gilets jaunes et ronds-points

Deux signes nous sont donnés pour évoquer la profondeur de cette crise : le gilet jaune, d’abord, enfilé par celui qui est en panne au bord de la route. Incapable de repartir, il veut au moins être vu de ceux qui pourraient le happer en passant, s’en même s’en apercevoir. Le gilet jaune est le vêtement de ceux qui se sentent oubliés : par l’Etat, par la mondialisation, par la logique libérale, par les différentes institutions sensées le représenter …

Et puis il y a le rond-point : ce lieu carrefour d’où l’on ne peut sortir que si on sait exactement dans quelle direction on doit aller, sous peine d’y tourner en rond indéfiniment.

Le mal-être est là : dans ce sentiment de déclassement et de désorientation. Dans ce piétinement au bord de la route et aux carrefours de nos villes.

Quelle fraternité ?

Il est beaucoup question de fraternité, de dialogue, de referendum citoyen. Mais de quelle fraternité parle-t-on ?
Est-ce une fraternité de circonstance, une sorte de groupement d’intérêt pour réclamer à plusieurs un avantage que l’on ne pourrait obtenir tout seul ? Ou s’agit-il d’une aspiration à construire ensemble notre avenir en prenant en compte à la fois le bien des personnes et celui de la communauté.

Voilà une question que nous aurions à résoudre dans les échanges futurs : avons-nous encore un projet, un objectif commun ou sommes-nous seulement des individus qui courrons après notre intérêt particulier ?

Est-ce encore pour nous une chance de former une collectivité, une communauté citoyenne, une nation ou est-ce plutôt un handicap ?

Et si c’est une chance, sommes-nous prêts à sacrifier notre intérêt personnel immédiat pour ce qui a été discerné comme le bien de tous, le bien de la société entière ?
La recherche du bien commun n’est pas l’addition de tous les intérêts particuliers mis bout à bout mais le bien de l’ensemble, du « nous tous », de la communauté elle-même. Si la vie politique, si la contribution de chacun à la vie de la cité ne consiste plus qu’à exiger des droits, des avantages, des revalorisations pour soi-même, sans se demander si cela est dans l’intérêt de tous, la fraternité ne sera qu’une formule que chacun utilisera pour son profit personnel.

Une logique de consommation

Il a été beaucoup question, pendant ce mois de décembre, « d’augmenter le pouvoir d’achat des Français ».
C’est une réalité : beaucoup de nos concitoyens ne parviennent pas à boucler leur fin de mois. Des témoignages nous en ont été donnés dans les media.
Mais ce n’est pas le cas de tous ceux qui ont porté un gilet jaune et réclamé des baisses de charge ou des hausses de revenus. Dans les débats qui auront lieu, il faudra certainement réfléchir au sens de cette revendication et nous poser la question de notre mode de consommation. Car c’est une logique du ‘toujours plus’ qui fait fonctionner notre système économique : toujours plus de production, toujours plus de produits, pour toujours plus de consommation et de dépenses. Tout cela aboutit à un épuisement financier. Beaucoup ne parviennent plus à tenir le rythme et se sentent déclassés.

Il est assez paradoxal que nous voulions une transition énergétique sans changer notre logique de consommation.
Et si la seule perspective de notre société, c’est de consommer toujours davantage, tous nos efforts pour sauvegarder la terre, pour promouvoir une écologie de la nature et des personnes, pour protéger notre maison commune, seront vains.

Avons-nous besoin d’une augmentation du pouvoir d’achat ou avons-nous besoin, plus profondément, de remplacer la logique du marché qui nous épuise, pour prendre soin de notre terre commune, de nos relations, de notre esprit, de notre vocation à la vie éternelle ?

Voilà mes vœux pour cette année : que nous trouvions la voie d’un projet commun et la forme d’une sobriété qui nous laissera le temps et l’énergie de cultiver notre âme, notre vie intérieure, notre relation avec Dieu.

Bonne et belle année à chacun de vous !
Que le Seigneur vous bénisse !

†Nicolas Brouwet
Evêque de Tarbes et Lourdes

Voici ces questions :

  1. Quelles sont selon vous, en essayant de les hiérarchiser, les causes principales du malaise actuel et des formes violentes qu’il a prises ?
  2. Qu’est-ce qui pourrait permettre aux citoyens dans notre démocratie de se sentir davantage partie prenante des décisions politiques ?
  3. Quels sont les lieux ou les corps intermédiaires qui favoriseraient cette participation ?
  4. Quel « bien commun » recherché ensemble pourrait fédérer nos concitoyens et les tourner vers l’avenir ?
  5. Quelles raisons d’espérer souhaitez-vous transmettre à vos enfants et petits-enfants ?