La laïcité à l’épreuve

La laïcité à l’épreuve

A cause des attentats commis par des terroristes islamistes, mais également en raison des limitations imposées au culte pour combattre l’épidémie du covid-19, il a été beaucoup question de laïcité au cours de l’année 2020. J’aimerais y revenir pour tenter d’en préciser les contours et les enjeux.

La laïcité peut être comprise au moins de deux façons.

  • Il y a d’abord le principe même de la laïcité : le pouvoir temporel, politique doit être séparé de l’autorité religieuse, spirituelle. Le dirigeant politique n’est pas prêtre et le prêtre n’a pas la mission d’un dirigeant politique. Ce sont deux autorités séparées qui n’ont pas la même mission. Le christianisme est porteur de cette distinction là où les sociétés anciennes soumettaient le politique à la tutelle du religieux. Il s’agit de « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu» (Luc 20, 25).
  • La deuxième façon de comprendre la laïcité est de la référer à la loi de 1905 qu’il faut resituer dans son contexte historique : mettre fin au concordat voulu par Napoléon entre les églises et l’Etat. L’article 2 stipule que « La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’Etat, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. » La laïcité dont nous parlons ici est la laïcité de l’Etat qui décide – après un siècle de concordat – de ne plus avoir avec les cultes une relation organique, de ne plus les reconnaître comme des organismes de droit public.

Cette loi ne signifie pas, pourtant, que l’Etat ignore la foi religieuse : il reconnaît la liberté de conscience et le libre exercice des cultes. C’est l’objet de l’article 1 de la loi de séparation : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes… »

Les circonstances ayant changé depuis le vote de la loi de séparation en 1905, il est normal que le point d’équilibre trouvé en 1905 pour sortir du système concordataire se soit déplacé. Chacun a maintenant sa façon d’interpréter la laïcité et de la mettre en œuvre. Voilà pourquoi elle suscite autant de débats et de malentendus.

Pour avancer sur cette question, il faudra que tous les croyants, en France, acceptent l’ordre républicain par principe. Il faudra aussi que les citoyens acceptent et respectent la liberté religieuse et la liberté de confesser sa foi, y compris dans l’espace public. Il faudra enfin que l’autorité politique comprenne la limite de sa compétence en restant à la porte de ce sanctuaire intérieur où chacun, dans les profondeurs de son être, pose un acte de confiance et d’abandon à Dieu. Il faut que le politique comprenne que s’il a le pouvoir de César, il n’a pas l’autorité de Dieu.

Or on assiste aujourd’hui à deux mouvements de fond :

  • Une tentative de faire reculer la foi religieuse non seulement dans l’espace privé mais, plus radicalement, dans l’espace intime. Comme si l’évocation de Dieu et tout signe de confession ne faisait que remettre en cause la paix sociale et l’unité entre les citoyens. On pourrait toujours croire en Dieu mais n’en parler qu’avec ceux qui y croient également pour ne pas risquer de semer la division. Dans cette acception, ce n’est plus l’Etat qui doit être laïque mais la société tout entière. On ne reconnaît aucun rôle social aux communautés religieuses et aucun apport des religions pour le bien commun. C’est une première dérive du concept de laïcité.
  • On voit également arriver, dans le pouvoir politique, des générations qui n’ont aucune idée de ce que peut représenter une foi religieuse, c’est-à-dire un principe de transcendance qui dépasse la simple référence à la loi civile. Nous respectons l’autorité républicaine. Mais nous pensons également que le pouvoir politique ne peut avoir le dernier mot sur tous les sujets.

C’est d’ailleurs pour cela, par exemple, que ce pouvoir reconnaît des formes d’objection de conscience. Il y a des actes que notre conscience réprouve et qu’une autorité humaine ne peut nous obliger à poser. Je conseille à ce sujet de voir le très beau film Une vie cachée qui raconte la vie du Bienheureux Franz Jägerstätter, premier martyr de la conscience, qui écrivait en août 1943, peu avant sa mise à mort : « Même si j’écris avec les mains enchaînées, cela vaut mieux que d’avoir ma volonté enchaînée. Parfois, Dieu se manifeste en donnant sa force à ceux qui l’aiment et ne placent pas les choses terrestres au-dessus des réalités éternelles. »

Nous voulons rendre à César ce qui est à César. C’est ce qui fonde notre loyauté envers les lois de la République. Mais nous tenons également à rendre à Dieu ce qui est à Dieu, dans ce domaine de notre relation personnelle avec Lui et dans lequel l’autorité politique ne peut entrer. Voilà ce que signifie la liberté religieuse que le principe de laïcité doit sauvegarder à tout prix dans notre démocratie.

+ Nicolas Brouwet