L’avenir du monde agricole n’est pas seulement entre les mains des paysans.
Depuis 2016, Patrick Maurin parcourt la France à pieds pour sensibiliser le grand public sur la détresse dans le monde agricole. De passage à Lourdes le 28 février dernier, il nous a expliqué sa démarche et son analyse : « Je voulais comprendre pourquoi dans notre pays ceux qui cultivent la terre et qui nous nourrissent se trouvent dans un tel désespoir ! Où est le problème ? » martèle t-il. Des réponses, notre marcheur de l’espoir en a trouvées ! Il alerte : « J’ai constaté 3 causes principales de cette situation :
1/ Le prix de vente des produits : les agriculteurs vendent ce qu’ils produisent bien en-dessous du prix de revient. Je prends l’exemple du lait : il faudrait qu’ils puissent vendre le lait à 41c le litre ; or on leur achète à 33 ou 34 c le litre. Malgré l’existence de la loi EGALIM* , nous n’arrivons pas à faire changer les pratiques commerciales.
2 / L’éloignement : il y a de moins en moins d’agriculteurs dans nos campagnes. Les exploitations sont de plus en plus éloignées les unes des autres. Autrefois nous avions 30 ou 40 hectares par famille alors qu’aujourd’hui un agriculteur peut se retrouver à gérer, quasi seul, 200 hectares. Le système oblige à travailler au rythme d’un rendement qui ne correspond pas à la réalité de vie ni même à la vocation du paysan.
3/ Les normes françaises draconiennes. Nos paysans français ont les meilleurs produits au monde mais les contraintes sont telles que cela devient impossible. Les normes sanitaires ne sont pas les mêmes dans les autres pays – même au sein de l’Union Européenne – et cela porte préjudice »
Patrick Maurin en est certain : les élus locaux ont une part de la solution entre leurs mains. « Les élus peuvent faire changer les choses ! Il faudrait que chaque maire s’engage pour avoir sur sa commune un espace de vente dans lequel les agriculteurs du coin puissent vendre leurs produits. » Pourtant, cela ne pourrait suffire ; la responsabilité est partagée entre tous ceux qui peuvent agir : « Le Gouvernement, d’une part, doit protéger notre agriculture locale. Il y a, d’autre part, une immense responsabilité des agriculteurs eux-mêmes qui doivent retrouver la confiance des consommateurs en produisant sainement. Enfin, il y a les consommateurs qui doivent réaliser que ce qu’ils achètent pour se nourrir a une incidence sur leur santé, mais également, sur la vie du producteur.» La terre est, au fond, un bien commun. Voilà pourquoi il revient à chacun de nous d’en prendre soin en soutenant ceux qui la travaillent… près de chez nous !
Écoutez l’interview intégrale de Patrick Maurin sur radiopresence.com
encart 1 : CHIFFRES | encart 2 : EGALIM |
200 :
nombre de fermes qui disparaissent chaque semaine en France 2 : nombre d’’agriculteurs qui se donnent la mort, chaque jour, en France | Loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous. |
Père Thadée : un curé à la rencontre de ses paroissiens agriculteurs.
Si les dernières statistiques des années 2000 faisaient état de 23 exploitants agricoles sur le territoire des Coteaux de Bigorre (dont seulement 8 professionnels), ils seraient aujourd’hui plus de 60, toutes options confondues, ayant en commun, pour la plupart la production des céréales pour la vente et/ou l’alimentation des animaux. Leur activité s’étend sur 696 ha, soit 60% de la superficie totale du territoire communal qui est de 1160 ha. Comme partout, de l’exploitation de type plutôt familial ils sont passés à une agriculture de rente, avec des moyens techniques plus performants, surtout avec l’arrivée des CUMA -coopératives d’utilisation de matériel agricole en commun – et de la PAC – Politique Agricole Commune. Je suis allé à la rencontre de deux d’entre eux.
1-
Guy et Hervé Dantin, père et fils, à Marseillan, où ils
exploitent pour la 5ème génération, 65 hectares de céréales,
toutes sortes
confondues, et 22 ha d’herbe pour 35 têtes de broutards, élevées
plutôt pour la viande et les veaux de boucherie. Leurs produits sont
surtout exportés en Espagne et en Italie.
2- Jean-Claude
Gaillat qui élève une soixantaine de Frisonnes laitières sur
Aubarède avec une trentaine d’hectares réservés à l’alimentation
des bêtes en céréales. Pour s’en sortir, la filière lait a réussi
à se regrouper en une coopérative de 15 éleveurs qui livre à
Danone-Pau pour le conditionnement ; sur le marché, le lait
sort sous l’étiquette « Blanc des Hautes-Pyrénées ». Un
équipement spécialisé a été nécessaire, en l’occurrence un
« robot de traite », qui, avec ses accessoires dont une cuve
de 6000 litres, a coûté la bagatelle de 140.000 €. Malgré tout,
ce n’est pas facile: L’agriculture en France est , je cite, « mal
barrée ».
Pourquoi ?
1° Les exigences « qualité » que l’on ne trouve pas ailleurs, et des charges sociales exorbitantes, qui ne facilitent pas la concurrence alors que la main-d’œuvre est, en même temps, inabordable.
2° La PAC est une bonne chose mais la mondialisation des prix qu’elle exige et la distribution inéquitable des primes entre la plaine et la montagne ne facilite pas les affaires, surtout en ce moment de confinement et de fermeture des frontières.
3° Les CUMA ne peuvent pas résoudre tous les problèmes devant la nécessité de se doter de quelques outils personnels. Malheureusement, le coût des machines a plongé les uns et les autres dans des endettements insolvables dont on connaît les conséquences: abandons et suicides ! Parallèlement, la transmission est devenue un casse-tête.
Que faut-il espérer ? « On ne fait pas l’agriculture pour avoir des sous ! », ont-ils martelé. Il faut aimer ce métier qui, par ailleurs, s’exerce en toute liberté ! Enfin, face aux multiples pannes de machines, il faut noter que la présence de l’entreprise POUEY est providentielle. Car, non seulement l’entreprise répare mais aussi fabrique des pièces de rechange sur place, y compris des accessoires d’un niveau digne d’une véritable usine. Une chose au fond n’a pas changé : l’agriculture est une histoire de passion collective, dont le moteur est la solidarité et le souci du bien commun.
Comment annoncer l’Évangile dans le monde rural d’aujourd’hui ?
Benoît Guillard, délégué diocésain Terres d’Espérance
Comment proposer, dans la grande diversité du monde rural d’aujourd’hui, la joie de l’Evangile ? Quel avenir pour l’Eglise, quelles formes de présence chrétienne inventer? Comment nous faire proche et nous mettre à l’écoute de ceux qui nous entourent, plus particulièrement en ces temps de bouleversements et de crise sanitaire, économique, écologique, humaine, et proposer la lumière de l’espérance chrétienne ?
Dans
de nombreux lieux en France, des chrétiens se posent ces questions
et y inventent parfois de nouvelles réponses, sans forcément se
connaître entre eux. C’est pour cela que les évêques de France
ont initié le projet Terres
d’Espérance,
des rencontres
nationales pour les diocèses ruraux de France,
afin d’aborder ces questions, de partager nos initiatives, de nous
rencontrer et de nous mettre ensemble à l’écoute de l’Esprit
Saint. L’évènement prend la forme d’une
démarche en deux temps, en avril 2021 et avril 2022 :
une journée diocésaine le
samedi 24 avril 2021,
pour laquelle une trame commune est proposée à tous les diocèses,
et des rencontres nationales de tous les diocèses ruraux de France
en avril 2022 à Châteauneuf de Galaure, dans la Drôme.
Pour qui ?
Cette journée diocésaine est ouverte très largement : paroissiens, chrétiens engagés dans leur quotidien, membres de mouvements ou associations, agriculteurs, curés de paroisses rurales… ou toute personne de bonne volonté s’intéressant aux enjeux de l’Eglise dans le monde rural, à comment vivre la fraternité et la charité dans le monde rural, à comment vivre en chrétien et annoncer la bonne nouvelle.
Dans cette perspective, nous souhaitons mobilier largement via nos doyennés, nos paroisses, les services diocésains, d’autres mouvements (MRJC, CMR, …), etc…
Participer à la préparation de la journée diocésaine
Une bonne façon de mobiliser est d’impliquer toutes ces personnes dans la conception et la préparation de cette journée. Ainsi il est proposé dans chaque doyenné de recueillir et mettre en lien tous ceux qui agissent sur nos territoires et mettent en œuvre l’encyclique Laudato’ Si, qui inventent d’autres manières de faire, qui sèment d’autres possibles. Des équipes se constituent localement autour de ces idées, et pour recueillir ces témoignages.
Sous-titre : Programme proposé le 24 avril 2021
Un programme commun entre tous les diocèses :
- une introduction avec Mgr Habert (évêque référent Terres d’Espérance) en visio-conférence, comportant une courte exhortation et des témoignages
- un texte de la Parole de Dieu pour un temps de partage guidé, selon la méthode de la Lectio Divina
- une bénédiction finale pour les participants.
Les ateliers l’après-midi, des temps de partage et de carrefour en local :
- Un temps de partage d’initiatives concrètes, centré sur des expériences, à partir de la présentation d’une initiative ou d’un partage de pratiques (en paroisse, dans une exploitation agricole, à l’échelle du doyenné…)
- Des carrefours : Un temps de relecture de la journée, des idées et témoignages entendus, ce que chacun en retient, les réflexions à poursuivre, les initiatives à mettre en place, …
Comment participer ?
- Faites-vous connaître pour témoigner, participer : en me contactant directement par mail : benoit.guillard@gmail.com
- En raison des circonstances sanitaires actuelles et en fonction des programmes et des lieux proposés, les témoignages et les carrefours se feront en « présentiel » ou en visioconférence.
- Retrouvez toutes les infos sur rural.catholique.fr/accueil/terres-d-esperance/
Ces jeunes qui offrent un nouveau souffle à l’agriculture !
Vous le savez, les jeunes de notre diocèse sont invités à réveiller leurs talents en cette année synodale. On pense d’emblée à des talents artistiques ou sportifs mais ils ont aussi des talents professionnels… et parfois là où on ne les attend pas. C’est le cas de Jacques Villemur et Lorenzo Paollucci, âgés de 15 et 16 ans. Passionnés l’un et l’autre par le monde agricole, c’est là qu’ils ont choisi de s’investir. Si dans la double-page précédente nous vous avons présenté des réalités rudes à supporter pour les agriculteurs, nous voulons aussi mettre en lumière cette jeunesse, pleine d’idées et de confiance, qui redonne espérance au monde rural.
Jacques est interne au Lycée Agricole de Montardon, pour poursuivre un cursus dans la filière Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant, et reprendre la ferme familiale, en y mettant sa patte.
Lorenzo est au lycée agricole de Vic en Bigorre depuis septembre. Il alterne la formation théorique et la pratique grâce à sa formation en apprentissage dans la ferme du Castillou, à Bénac, chez Fabien Jouanolou.
Rencontre avec Jacques Villemur
Qu’est ce qui t’a donné envie d’entrer dans le monde agricole ?
J’ai toujours aimé être dans la nature. Petit, déjà, j’aimais aller dehors, dans les rivières, dans les forêts. J’ai plus du mal à rester sur une chaise ! Et puis, il y a la ferme familiale : mon grand-père s’est installé à 20 ans et mon père ensuite. Je travaille déjà à la ferme avec eux, et je donne mes idées sur l’évolution des cultures, le stockage, la génétique des vaches. Mais chaque génération a ses manières de voir et nous ne sommes pas toujours d’accord. Pour travailler ensemble et bien s’entendre, il faut que chacun ait sa partie et sa spécialité. J’aimerais être la relève paysanne de la famille, après mes études, et après être allé observer d’autres fermes. Je voudrais également communiquer plus positivement sur les bienfaits de l’agriculture et réconcilier producteurs et consommateurs, en proposant des produits de qualité.
Selon toi, l’agriculture a une image trop négative ?
À la télé, on parle souvent de pollution, de maltraitance etc. Cela blesse les agriculteurs. Comme si on oubliait que sans agriculture, on ne mange pas ! Longtemps, les agriculteurs n’ont pas cherché à communiquer sur ce qu’ils faisaient de bien. C’est en train de changer. Seulement les changements sont lents parce que l’agriculture est aujourd’hui dans le système des coopératives agricoles, qui s’est imposé quand il a fallu nourrir tout le monde après les guerres. Il n’est pas facile d’en sortir.
Il faudra du temps, sans exclure personne, en apprenant à travailler ensemble. Chacun doit prendre conscience que la terre ne va pas bien. On a voulu tout maîtriser et ce n’est pas bénéfique. Cela fait à peine 100 ans que l’on a commencé à « exploiter » les sols. À l’échelle de la terre, ce n’est rien, mais on a déjà abîmé beaucoup de choses.
La ferme « de Jacques », à quoi elle ressemblerait ?
Aujourd’hui, à la ferme, on élève des vaches. Je suis attaché aux animaux et j’aimerais les garder en continuant à produire et améliorer leur alimentation. J’aimerais aussi faire de l’élevage de poulets, qui nécessite moins d’eau. Surtout, j’aimerais faire du maraîchage.
Dieu, par sa Création nous a donné une terre bien faite. On peut la laisser faire, en tirer des bénéfices sans la maltraiter. C’est comme ça que j’aimerais travailler, en pratiquant une agriculture de conservation : respecter la vie du sol, ne pas le travailler et en recueillir les fruits… sans combattre la nature.
Rencontre avec Lorenzo Paollucci et Fabien Jouanolou
Comment est née cette passion pour l’agriculture ?
Lorenzo : Je devais choisir mon orientation mais ce n’était pas évident. Un jour, chez un ami, j’ai eu l’occasion d’aller chercher les œufs dans le poulailler et c’est là que la passion pour les animaux est née. La formation au lycée agricole se déroule sur 11 semaines dans l’année et le reste du temps je suis ici, à la ferme. La journée commence par un moment de salutations et d’échanges. On nettoie les auges et on prend soin du bétail . Il y a toujours quelque chose à faire. Il n’y a pas deux jours identiques. : c’est vrai que prendre soin du bétail est un peu routinier, dans le sens où on le fait chaque jour, matin et soir, mais après nous ne savons jamais quels chantiers nous attendent.
Comment vois-tu ton avenir dans le monde agricole ?
Lorenzo : La façon de travailler et les projets de Fabien me plaisent beaucoup. Je trouve très important de pouvoir dire aux consommateurs comment la bête a vécu, comment elle a été nourrie et soignée. Au Castillou la bête est aimée et en sécurité. C’est aussi comme cela que je vois mon avenir dans le monde agricole. L’élevage est ma passion : chaque naissance d’un animal me touche beaucoup et me donne envie de continuer. Je veux vraiment faire ce métier même s’il peut y avoir des problèmes ou des difficultés….On peut toujours surmonter les difficultés !
Qu’est-ce que l’embauche d’un apprenti implique dans une exploitation ?
Fabien : J’ai repris l’exploitation familiale à l’automne et je dois dire que je n’avais pas du tout prévu d’embaucher pour le moment. Lorenzo est venu me voir avec son papa, grâce à un ami qui nous a mis en lien. Le courant est passé et, de fil en aiguille, je me suis rendu compte que c’était possible et que c’était une bonne chose de l’accueillir. Pour moi c’est un double engagement : celui de le rémunérer et, surtout, celui de lui transmettre mon métier…. et les valeurs qui vont avec ! Le fait qu’il ne soit pas issu d’une famille d’agriculteur est très enrichissant : bien sûr il faut tout expliquer mais il apporte un regard neuf. Il m’apprend des choses également ! Plusieurs gros chantiers sont lancés à la ferme du Castillou : la bergerie va être entièrement rénovée ; puis nous allons construire un laboratoire et un magasin pour que nos bêtes soient abattues et vendues sur place, en circuit court. Nous voulons créer un lien fort, de confiance, avec les consommateurs. Lorenzo est complètement investi dans ces gros chantiers : il s’y implique et pour moi, il fait naturellement partie du projet !